Romilda Ferrauto
Pouvez-vous nous parler de votre parcours en tant que journaliste franco-italienne spécialisée dans le Vatican ?
J’ai travaillé pendant 35 ans à Radio Vatican. J’y suis arrivée par hasard : je cherchais un emploi. J’y suis restée pour plusieurs raisons : l’ouverture internationale, l’autorité morale, la possibilité d’approfondir les sujets, la liberté de parole, les échanges avec des confrères venus d’une cinquantaine de pays……De 1991 à 2016, j’ai été rédactrice en chef de la rédaction francophone de Radio Vatican qui traite non seulement de l’actualité vaticane mais aussi de la vie de l’Eglise dans le monde et de l’actualité internationale. Depuis 2019, je collabore avec la Salle de presse du Saint-Siège en tant que conseillère, en particulier pour les rapports avec les journalistes, Églises et institutions de langue française.
Bien entendu, mon parcours professionnel m’a amenée à m’intéresser de près aux relations entre la France et le Saint-Siège. Je constate qu’il n’est pas toujours facile d’évaluer l’appréciation du Saint-Siège qui cultive la discrétion. On peut dire qu’il y a un réel intérêt réciproque et quelques motifs de méfiance, anciens et nouveaux. Au Vatican, la qualité de la pensée catholique française suscite l’estime et l’admiration ainsi que le prestige de la France. Mais l’application stricte de la laïcité provoque de temps à autre des grincements de dents. L’héritage de la révolution française et du siècle des lumières est bien présent dans les esprits et peut entrainer quelques craintes et entretient quelques préjugés idées reçues. (Les Français sont des jacobins, laïcards arrogants, ils descendent dans la rue pour un oui ou pour un non…..)
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Qu'est-ce qui vous a amenée à vous intéresser aux relations entre la France et le Saint-Siège ?
Les relations entre la France et le Saint-Siège ont parfois été tumultueuses, mais en même temps elles ont toujours été étroites et fondamentales. Après la grave crise qui a entouré l’adoption de la loi de 1905, et la rupture des accords diplomatiques, je dirais que depuis les accords Poincaré-Cerretti, dont on vient de célébrer le centenaire en 2024, il n’y a pas eu de conflit majeur. Il y a eu quelques malaises et il reste des points de vigilance, notamment sur des sujets de société ou de mœurs, comme, actuellement, l’euthanasie ou l’avortement (dont le « droit » a été inscrit dans la Constitution), par exemple, ainsi que sur des sujets plus politiques comme la possession des armes nucléaires qui constitue un sujet de profonde divergence.
Mais les sujets de convergence entre Rome et Paris ne manquent pas, comme l’écologie, la défense du multilatéralisme, une vision commune sur de grands dossiers comme le Liban. En matière de politique étrangère, la France intervient souvent pour que le droit soit respecté ou pour favoriser la pacification des conflits. Ce qui lui permet d’être en phase avec le Saint-Siège
La conception de la laïcité reste une question centrale dans les rapports bilatéraux. Benoît XVI mettait en garde contre le laïcisme, François recommande une saine laïcité (on l’a entendu encore récemment à Ajaccio), Nicolas Sarkozy proposait une laïcité positive…..
Globalement, le Saint-Siège s’accommode bien aujourd’hui d’une laïcité qui établit clairement la séparation entre l’Église et l’État, qui respecte la liberté religieuse et de culte et qui permet à l’Église d’exercer ses activités, en évitant toute ingérence d’un côté comme de l’autre. Le Saint-Siège n’approuve pas une laïcité au nom de laquelle on interdirait aux religions de s’exprimer publiquement. Pour le Saint-Siège le fait religieux n’est pas une affaire privée.
Bref, on n’est pas dans un contexte d’affrontement, et la laïcité est globalement acceptée, même si, encore une fois, les préjugés et les idées reçues ne manquent pas, des deux côtés.
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Comment les relations entre la France et le Saint-Siège ont-elles évolué depuis les années 1980 ? Y a-t-il eu des moments particulièrement marquants ?
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Parmi les crises (relativement) récentes : je citerais le conflit entre Paris et le Vatican suite à la candidature, en 2015, de Laurent Stefanini comme ambassadeur de France près le Saint-Siège, sous la présidence de François Hollande. Le poste est resté vacant pendant plusieurs mois.
Les rapports entre François Hollande et le Saint-Siège ont par ailleurs été crispés par la question du mariage pour tous.
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Les pontificats de Jean-Paul II, Benoît XVI et François ont-ils influencé différemment les relations avec la France ?
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Les trois derniers pontificats (Jean-Paul II, Benoît XVI et François) ont certainement influencé différemment les relations avec la France. Même si des facteurs autres que la personnalité et les priorités des trois papes ont joué : le contexte international, ainsi que la personnalité et les priorités des présidents français qui se sont succédés pendant cette période. Les rapports bilatéraux ont aussi évolué en fonction de la profonde transformation de la société française.
Il convient de souligner que le pape Jean-Paul II s’est rendu 8 fois en France (la 2° nation la plus visitée après sa Pologne natale). Jean-Paul II était très proche du cardinal Lustiger, archevêque de Paris, ainsi que d’autres personnalités françaises qui venaient lui rendre visite. La présence de membres de l’Eglise de France à des postes de responsabilité dans la Curie était consistante. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Comment oublier les Journées mondiales de la jeunesse en 1997 à Paris. Plus d’un million de personnes s’y étaient retrouvées. Jean-Paul II considérait la France comme la Fille aînée de l’Eglise.
Benoît XVI avait une grande admiration pour les intellectuels catholiques français, mais il était préoccupé par la déchristianisation de la France, par le relativisme, l’individualisme et le consumérisme qui imprègnent les sociétés occidentales et par l’adoption de lois contraires à la doctrine de l’Eglise (cf la manif pour tous en 2012)
François s’intéresse davantage aux périphéries qu’aux grands pays, on le sait. Quand il s’est rendu à Marseille en 2023, il a choqué en répétant qu’il ne se rendait pas en France. Et plus récemment, il a suscité l’incompréhension en refusant de participer à la cérémonie de réouverture de Notre Dame, tout en acceptant de se rendre une semaine plus tard à Ajaccio.
Ces dernières années, surtout depuis le début du pontificat du pape François, on constate un émiettement de l’influence française au Vatican. Chute de l’utilisation du français, mais aussi absence de personnalités françaises à de grands postes de responsabilités au sein de la Curie.
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En tant que journaliste, quels moments ou anecdotes avez-vous trouvés les plus révélateurs de la relation entre la France et le Vatican ?
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Le voyage au Vatican est un rituel auquel tous les présidents de la Ve République ont sacrifié, à l'exception notable de Georges Pompidou. Valéry Giscard d'Estaing a été le plus assidu, trois fois pendant son septennat. Tandis que en quatorze ans au pouvoir, François Mitterrand n'a effectué qu'une seule visite privée au Vatican, et n’a pas pris possession officiellement du titre de chanoine du Latran. Les rapports ont été excellents entre Jacques Chirac et Jean-Paul II. En 2018, Emmanuel Macron a eu avec le pape François un tête-à-tête d’une durée record de 57 minutes. C’est dire que les sujets de conversation ne manquaient pas. Les deux hommes se sont revus à plusieurs reprises et le président Macron a souvent affiché une proximité presque familière avec le pape.
Reste que la fille aînée de l’Église est de plus en plus distante.
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Pensez-vous que le rôle du Saint-Siège dans la politique internationale est encore influent vis-à-vis de la France ?
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Je pense qu’à l’heure actuelle les deux parties tiennent à soigner leurs relations, pour le bien de l’Eglise de France, certes, mais aussi pour peser sur un certain nombre de dossiers de politique internationale. La France reste influente et le Saint-Siège également. Même si, comme le souligne l’ancien ambassadeur Bruno Joubert, les relations avec les gouvernements des États traditionnellement considérés comme catholiques, dont la France était l’archétype, ne sont plus autant le centre de l’attention du Saint-Siège dont le regard se tourne de plus en plus vers l’Afrique et l’Asie.